Interview
Laurie, la petite meuf sympa qui parle de climat
Activiste pour la justice climatique et sociale, hôtesse du podcast Epicea, animatrice du compte Instagram @goodmorninglau et petite meuf sympa qui aime beaucoup parler, comme elle le dit elle-même, La Friche a eu le privilège d’interroger Laurie Pazienza en août dernier
Parler de climat mais pas seulement car la mission que Laurie s’est donnée est la suivante : Parler du vivant pour sauver ce qu’il en reste, c’est l’ambition de notre génération. Dans ce podcast, je donne la parole aux acteurs et actrices du changement, ceux et celles qui croient et agissent en faveur d’une transition écologique et sociale, ceux et celles qui brisent les codes et créent la société de demain. J’espère que ces conversations révèleront, en vous, le chemin du possible. Je m’appelle Laurie, je suis ingénieure en énergie renouvelable et j’anime depuis quelques années le compte Instagram @goodmorninglau où je parle d’écologie et de transition au sens large.
Ce sont les mots utilisés par Laurie en introduction du podcast qu’elle a créé et qu’elle anime avec brio, Epicea. J’aurais pu romancer les réponses que Laurie a apportées à mes questions. Mais j’ai pensé que son éloquence et son aplomb naturels suffisaient à eux-seuls à nous transporter au cœur d’un récit. Son nouveau récit qu’elle défend et transmet au-travers de ses diverses activités. Alors sans plus de détours, voici notre échange…
Parle-moi un peu de toi. Qui est Laurie ?
J’ai 28 ans et j’habite à Bruxelles. Je suis ingénieure en énergie et changement climatique. Je suis activiste pour la justice climatique et sociale. J’anime un compte sur les réseaux sociaux qui s’appelle goodmorninglau. Ce compte est un doux mélange entre influence et activisme, ce qui perturbe parfois les gens car c’est en quelque sorte inclassable par rapport à ce qui se fait maintenant. Je tiens aussi un blog avec des articles que je considère un peu comme les fondamentaux. J’ai créé le podcast Epicea consacré aux acteurs et actrices du changement, qui œuvrent pour un avenir plus durable et plus juste.
Comment est arrivé dans ta vie cet engagement dans le combat pour la justice climatique et sociale ?
J’étais une adolescente très consumériste. En fait, pendant mes études, j’ai toujours été très consumériste. J’ai eu un gros déclic pendant un Erasmus à Londres en 2ème année de Master en Énergies Renouvelables. J’y ai fait beaucoup de rencontres de personnes venant d’autres pays, de cultures différentes car Londres est une ville cosmopolite et que ce Master est convoité au niveau international. J’ai alors découvert d’autres façons de penser et de faire, ce qui m’a apporté une ouverture d’esprit.
Pour commencer, j’ai décidé d’arrêter de manger de la viande car elle était mauvaise et chère. En plus, j’avais fait une indigestion avec du poulet pas frais acheté à bas prix dans un supermarché, ce que beaucoup d’étudiants font durant leurs études. J’ai diminué ma consommation. J’ai fait des recherches sur comment faire pour manger équilibré en étant végétarien parce qu’il y avait encore pas mal de croyances dans les carences à l’époque avant que tout cela ne soit déconstruit par la suite.
Et en fait, j’ai ouvert la boîte de Pandore car en prenant des renseignements sur le végétarisme, je me suis informée sur l’agriculture durable, le zéro déchet, la maltraitance animale et le label « Cruelty Free » notamment pour les cosmétiques etc. Cela a représenté un cheminement pendant un an…
Ensuite, il y a 6 ans, à mon retour en Belgique et lorsque j’ai trouvé mon premier boulot dans les énergies, j’ai eu envie de mieux dépenser mon argent. J’ai alors repensé ma façon de consommer sur le plan de l’alimentation, la mode, la mobilité, les voyages etc.
C’était de l’écologie personnelle. J’ai alors commencé à partager mon expérience et des informations sur Instagram et le blog. Un an plus tard, j’ai pris la décision de m’engager plus activement et collectivement parce que jusque-là, j’étais plus dans le style « écolo-bobo militant starter kit ». Je ne dis pas que ce n’est pas bien d’être écolo-bobo, mais j’avais besoin de faire plus. Depuis un peu plus de 3 ans, même si c’était déjà latent depuis plus longtemps encore, l’engagement a commencé.
Depuis, avec 3 copines (Chloé Mikolajczak, alias thegreenmonki sur Instagram, Lucie Morauw et Adélaïde Charlier), on lance des campagnes contre le projet EACOP qui veut installer une pipeline en Ouganda et ailleurs et le Deep Sea Mining par exemple. On a aussi lancé la campagne Fair Fashion Belgique pour une mode plus juste et durable du point de vue social et durable. On a aussi soutenu la Nature Restoration Law pour faire passer cette loi au niveau européen.
Comment t’est venue l’idée de créer un podcast pour donner la parole aux acteurs/actrices du changement ? Pourquoi Epicea ?
J’ai toujours été une grande amatrice de podcasts bien avant que cela ne devienne une « hype » chez nous. À Londres, c’était évidemment déjà le cas. Et j’en parlais à mon copain de l’époque. C’est d’ailleurs lui qui m’a offert un micro comme cadeau de Noël.
Mais le lancement du podcast ne s’est fait qu’un an après car il fallait que l’idée mûrisse, que je prenne confiance et que je réunisse les bons acteurs. Au final, le podcast n’a pas un an mais l’idée est née il y a déjà 2-3 ans.
Pourquoi Epicea ? Je voulais parler du vivant et je cherchais un nom qui sonne bien. En cherchant dans les termes sur l’écosystème, c’est celui-là qui a retenu mon attention.
Quel épisode t’a particulièrement inspirée ou émue ? Pourquoi ?
Tous. C’est difficile de n’en retenir qu’un seul.
Il y a celui avec Géraldine Remy qui raconte sa transformation et qui a écrit deux livres là-dessus. C’est une copine donc forcément ça apporte quelque chose en plus. Celui avec Chloé Mikolajczak et celui avec Paloma Moritz du média Blast. C’était un honneur et d’ailleurs je n’y croyais pas. Je pensais déjà que c’était une nana incroyable et maintenant je sais que c’est vraiment une nana incroyable qui se bat au quotidien pour que les médias s’engagent et ce qu’elle fait avec Blast est surprenant et génère le respect. C’est une véritable force.
Pourquoi est-ce si important aujourd’hui de véhiculer ces nouveaux récits, tous ces chemins du possible ?
Parce que l’urgence est là maintenant. Cela aurait peut-être eu du succès avant mais plus encore aujourd’hui. Surtout auprès de la génération des années 90, qui est véritablement la génération qui se tracasse, qui se pose des questions sur le fait d’avoir des enfants par exemple. J’ai d’ailleurs rédigé un article à ce sujet sur le blog qui s’appelle : « Génération sacrifiée ». Parce qu’on se rend bien compte que les enfants d’aujourd’hui n’auront pas la même vie que nous avons pu avoir. On est à un énorme tournant !
L’objectif aujourd’hui, c’est d’ouvrir les yeux aux gens et de leur proposer des récits de gens qui se bougent pour leur donner envie de bouger aussi. Je n’ai moi-même plus envie de dire que je suis éco anxieuse car je ne veux pas que cela m’immobilise. Alors que ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est se mettre en mouvement et ne pas s’apitoyer et donc inspirer les gens à le faire en les inspirant par tous ces récits.
Tu es aussi une activiste engagée sur le terrain et sur de nombreux fronts. Par ex.: Fast Fashion, Nature Restoration Law, alimentation durable, projet EACOP de Total Énergies etc.). Pourquoi est-ce important ? Qu’est-ce que cela apporte de participer aux actions sur le terrain ?
Rien ne fait plus bouger les choses que des révolutions. L’histoire nous l’a appris et les gens qui le nient encore, je leur dirais d’aller ouvrir un bouquin. Cela n’a jamais fonctionné de demander gentiment. Ses droits, il faut les prendre ou les exiger. Être activiste, c’est faire partie de la révolution pour un monde plus juste, plus résilient, plus durable. Il faut avoir à l’esprit que des gens meurent déjà aujourd’hui du changement climatique. Des gens meurent dans des catastrophes qui ne sont pas naturelles. Le monde entier est menacé par la 6ème extinction de masse. Alors, il faut exiger un avenir, demander mieux.
Malheureusement aujourd’hui, ce sont les générations précédentes qui prennent des décisions alors qu’eux-mêmes le disent : il leur reste moins de temps sur cette planète et ils s’en foutent. Mais le pire, c’est qu’ils ont des enfants, des petits-enfants ! C’est quand même inquiétant sur le plan psychologique.
Mais en tous cas, on n’obtient rien en demandant gentiment…
Comment gardes-tu l’espoir quand les victoires ne sont pas au rendez-vous ou pas à la hauteur des enjeux ?
On apprend à célébrer les victoires quand il y en a, même si c’est vrai aussi que les activistes ne sont pas très bons à célébrer des victoires. Par exemple, quand la Nature Restoration Law est passée. C’est une victoire même si elle a été modifiée car elle ne serait tout simplement pas passée sans les actions et la mobilisation. Une mobilisation qui s’est préparée longtemps en amont et qui continue actuellement « en off » car cette loi doit encore être discutée pendant les trilogues…
En vérité, il y en a relativement souvent des victoires même si elles sont moins nombreuses que les défaites. Mais il y a beaucoup de victoires sur le chemin comme toutes ces banques qui se sont retirées à ce jour du projet EACOP de Total Énergies. Cela ne concerne pas moins de 46 banques et assurances en 2 ans donc 46 victoires en 2 ans 😉 Autre exemple, sans la mobilisation des jeunes de 2017 à 2019, il n’y aurait pas eu de Green Deal. La Commission elle-même l’a admis.
C’est important d’être du bon côté de la barre, du bon côté de l’histoire même de manière purement égoïste parce que ça donne du sens au quotidien.
Tu animes également activement ta page Instagram autour de tous ces sujets. Comment les réseaux sociaux peuvent participer à conscientiser et rallier plus de personnes à ces combats ?
Les réseaux sociaux, c’est « game changers » et cela depuis le mouvement « Me Too ». Les réseaux sociaux sont un outil ultra puissant donc forcément un outil à exploiter en activisme. Après, c’est aussi à double tranchant : cela permet de toucher mais aussi d’être touché. Le revers actuel, c’est que cela soit devenu un outil à la désinformation car tout le monde a un avis et se croit journaliste, penseur, historien, etc. Il n’y a qu’à se rappeler pendant la pandémie du Covid, tous les citoyens étaient virologues ou encore pendant une Coupe du Monde où nous avons 11 millions de sélectionneurs dans le pays.
Les réseaux sociaux libèrent l’expression mais cela ne veut pas dire que l’on a le droit de tout dire. Il existe des lois qui régissent ce que l’on a le droit de dire et de ne pas dire comme des propos nazis, homophobes, mysogines, racistes etc. Mais les gens l’oublient parfois et il y a malheureusement peu de répression sur les réseaux sociaux donc cela engendre de la désinformation. C’est aussi l’avènement des lanceurs d’alertes et du harcèlement des scientifiques, politiciens, personnalités publiques etc.
Cela reste d’une puissance infinie donc je continue de les utiliser…
Quels sont tes projets futurs ?
Garder le cap ! Lancer toujours plus de campagnes, développer les campagnes existantes, se former. Même si je dois avouer que je suis privilégiée car mon job est tout à fait aligné avec mes valeurs. Je suis payée pour traiter des sujets comme la Nature Restoration Law. Et sinon, continuer à développer le podcast, les réseaux sociaux, à s’engager activement etc.
Que penses-tu de la citation de Pierre Rabhi : « C’est en initiant les plus petites actions que l’on amorce de grands changements. »
C’est vrai ! Aussi controversé que soit Pierre Rabhi. Personnellement, la métaphore du colibri ne me parle plus trop aujourd’hui car si chacun fait des efforts de son côté, on n’y arrivera pas. Mais c’est sûr que tout part de là sinon on serait en constante dissonance cognitive. Un activiste qui a un gros SUV garé devant chez lui ou qui mange énormément de viande, je ne vois pas comment il peut l’assumer. En fait, tout ça doit rayonner. Il ne faut pas se limiter à l’écologie intérieure. Et ça peut s’exprimer de pleins de façons différentes, pas seulement en s’enchainant à des grillages (même si c’est bien aussi de le faire !). Cela peut être sensibiliser son entourage, participer à des marches, manifestations, coller des stickers, ou encore s’exprimer à travers son art, en s’engageant dans une association etc.
Ressources et liens utiles
Vous vous demandez peut-être comment soutenir les activistes comme Laurie ? Eh bien il existe aujourd’hui une plateforme téléchargeable appelée Hero Circle App. Celle-ci permet de soutenir financièrement des activistes de par le monde et à hauteur de ses moyens. Ces dons leur permettent tout simplement de mettre sur pied des actions. Car cela demande souvent du matériel (scène, son, décor, bannières, panneaux etc.) qui a bien entendu un coût. Hero Circle App apporte donc une visibilité et des sous aux activistes. Afin qu’ils puissent mener leurs actions qui restent avant tout, on le rappelle, du bénévolat.
Et si vous souhaitez vous tenir informé des différentes actions belges, on a aussi ce qu’il vous faut. Le canal Buffet Belge via l’application Telegram.
D’ailleurs, la prochaine action est imminente ! Ce sera le dimanche 3 décembre au départ de la gare de Bruxelles-Nord pour une Marche Climat à partir de 13.00.