Artisanat & créations » Interview Casa Mariposa ou le temple du tatouage écoresponsable

Interview
Casa Mariposa ou le temple du tatouage écoresponsable

/ Par

Au n°4 de la Rue Jules Bouillon d’Ixelles, on peut découvrir l’une de ces impressionnantes bâtisses bruxelloises. Au-dessus de sa vitrine cernée de noir, une inscription à l’encre verte sur fond jaune se détache de la façade blanche : « La vie est belle ».

Si l’on pousse la porte de ce salon de tatouage écoresponsable, on entre dans un véritable cocon de verdure. Ici, on enlève ses chaussures, on pose/pause ses affaires, on s’installe confortablement dans un fauteuil et on sirote une boisson. On se laisse envelopper par la sérénité du lieu, sa décoration hétéroclite, un de ces mélanges bizarrement harmonieux de meubles usés par le temps, d’objets qui racontent des histoires, de dessins fièrement encadrés, de souvenirs d’ici et d’ailleurs et de plantes aux noms tendres et rigolos. On se détend au son de la musique douce qui passe… La vie est vraiment belle ici.

La façade bruxelloise de la Casa Mariposa ©2023 Casa Mariposa

On n’oublie pas l’essentiel pour autant, l’excitation et l’émotion sont bel et bien là. Quelqu’un vient s’asseoir près de vous, on se présente en toute simplicité. On se connaît ? Il semblerait presque. On échange, la personne dessine, propose, dessine, retouche, efface, dessine, précise les traits, remplit les espaces vides, dessine, estompe… Jusqu’au coup de cœur. Elle part. On patiente encore un peu. L’adrénaline monte. Celle que l’on ressent dans ces instants qui comptent. Elle revient et nous invite à la rejoindre. On s’installe, dévoile la partie du corps, la peau qui s’apprête à être transformée de façon permanente.

Et puis l’encre se dépose, les pigments s’accrochent et une forme se dessine petit à petit. On se détend, on ferme les yeux, on pourrait même se laisser aller à une petite sieste. Une tige, des feuilles, une fleur. On pense, on médite, on fige cet instant dans son esprit en même temps que le motif choisi épouse les formes du corps… et toute la poésie du tatouage est là.

Cette expérience, je l’ai vécue. Au n°4 de la Rue Jules Bouillon d’Ixelles. À la Casa Mariposa. La « Maison Papillon » où le tatouage est écoresponsable, solidaire, choisi, réalisé et porté fièrement comme un engagement à un monde meilleur.

Quelques mois plus tard, pour La Friche, j’interroge Noémie Dion, fondatrice de la Casa Mariposa, le premier salon de tatouage écoresponsable de Belgique. Noémie est une tatoueuse engagée pour la préservation du monde du vivant et la lutte contre le réchauffement climatique (donc parfois enragée aussi ! On la comprend 😉). Elle pratique une technique de tatouage écoresponsable sans machine, donc sans électricité, le « handpoke ».  Elle a eu la gentillesse de répondre à mes questions. Voici son nouveau récit.

Parle-moi un peu de toi… Qui est Noémie et comment est-elle arrivée à la Casa Mariposa ?

J’ai 32 ans et ça fera 4 ans au mois de novembre que j’ai commencé le tatouage. Avant ça, j’étais dans l’éducation. J’ai étudié 5 ans et puis je suis allée vivre à l’étranger pendant 5 ans dans le cadre de la promotion et de l’enseignement de la langue française à l’étranger pour le Réseau Linguistique et Culturel des Ambassades de France. À Londres, le tatouage est arrivé par hasard dans ma vie. Je n’étais pas bien, je me sentais seule, et c’est à ce moment-là que j’ai renoué avec le dessin. Je faisais beaucoup de dessins le soir, du pointillisme, et j’ai commencé à publier mes dessins sur Instagram. Des personnes sont venues me trouver en me disant qu’ils verraient vachement mes dessins en tatouages. Et ça a planté une graine…

J’ai alors commencé à m’intéresser au tatouage même si je ne connaissais personne et que je ne savais pas comment cela fonctionnait dans le milieu, les formations etc. Au final, je suis autodidacte. J’ai acheté tout le matériel et j’ai eu la chance d’avoir beaucoup d’amis et d’amis d’amis qui m’ont fait don de leur peau, ce qui m’a permis de pratiquer directement sur de la vraie peau et du coup, ça a été rapide. C’est très instinctif après ; quand j’ai tenu ma première aiguille j’ai senti que tout vibrait à l’intérieur de moi et que quelque chose se passait. C’était il y a un peu moins de 4 ans. En rentrant de Londres, j’ai encore travaillé un an dans l’enseignement pour les institutions européennes et j’ai détesté. J’ai commencé alors à avoir une double vie en tatouant tous les soirs et les weekends.

Un jour, j’ai décidé de tout plaquer et de me lancer à fond dans le tatouage pour ne pas avoir de regrets. J’ai ouvert Casa Mariposa le 1er septembre 2022 après avoir pratiqué le tatouage pendant deux ans à titre privé et au sein d’un autre salon. Je voulais créer quelque chose qui me convienne vraiment, qui soit totalement aligné avec mes valeurs. D’où le tatouage écoresponsable. Joël, mon compagnon, m’a rejoint dans l’aventure. Donc on est deux à gérer le salon aujourd’hui.

Noémie pratique une technique de tatouage écoresponsable sans machine
Depuis le 1er septembre 2022, Noémie pratique la technique du « handpoke » (sans machine) dans le salon de tatouage écoresponsable qu’elle a créé avec son compagnon, Joël. ©2023 Casa Mariposa

Casa Mariposa, c’est le premier salon de tatouage écoresponsable en Belgique, qu’est-ce qui t’a amenée à t’engager pour l’écologie dans ce projet ? Car j’imagine que cela peut être challengeant mais aussi contraignant parfois, non ?

Tout à fait. C’est contraignant, challengeant et c’est formidable ! En même temps, la passion m’habite aussi. C’est un moteur tout comme l’éco anxiété d’ailleurs.

Ma sensibilité à l’écologie est arrivée il y a 12 ans lorsque je suis devenue végétarienne. Au départ, ce n’était pas pour des raisons écologiques, environnementales mais éthiques pour lutter contre la souffrance animale. Et c’est via ce chemin-là que l’écologie est arrivée en découvrant d’abord l’impact environnemental de la consommation de viande puis en me renseignant de plus en plus sur l’écologie. C’est vaste et complexe et ça fait froid dans le dos vu les grands défis qui arrivent. Et plus je me renseignais, plus je voulais faire quelque chose. Le tatouage avait fait son entrée dans ma vie, ce qui me permettait d’exprimer artistiquement ce que j’avais dans la tête et mes ressentis via le dessin, ma page Instagram.

Quand j’ai décidé d’ouvrir mon salon de tatouage, c’était clair et net que ça irait au-delà du tatouage. Ce que je voulais partager, c’était non seulement des valeurs écologiques, mais aussi la plus grande bienveillance, l’altruisme. Un impact social également car il n’y a pas de justice climatique sans justice sociale (il faut le répéter !). On a donc répondu à un appel à projets de Hub Brussels qui s’appelle « OpenSoon » et qui subventionne des projets durables dans la Région de Bruxelles. Normalement, c’est plutôt pour l’Horeca. Et c’est en répondant à cet appel qu’on s’est encore davantage renseigné, on a fait une étude de marché immense et c’est devenu clair par rapport au matériel qu’on allait utiliser, comment on allait aménager le salon, le gérer etc.  

Et je crois qu’aujourd’hui on a un peu lancé une tendance. Je reçois d’ailleurs des demandes de conseils et je vois que ça commence à bouger donc c’est cool.

Quelles sont concrètement les pratiques qui différencient Casa Mariposa des autres salons de tatouage ?

Il y a l’aménagement composé à 90% de meubles et d’objets de récupération venant de potes, de la rue, des Petits Riens, chez Troc, de la 2ème main etc. Il y a aussi le matériel d’hygiène. Habituellement, on utilise beaucoup de plastique. Chez nous, plus de 50% du matériel a été remplacé par des alternatives plus durables dont beaucoup en PLA (amidon de maïs) et qui sont donc compostables ou biodégradables. On utilise par exemple du bio cellophane pour protéger les surfaces de travail, des godets d’encre et gants en matières biodégradables etc.

Et on est recherche constante dans le but d’atteindre les 100%. On demande aussi à tout le monde de prendre son propre rasoir pour éviter les déchets de rasoirs jetables. Pour ceux qui n’en auraient pas, ce n’est pas grave, on a des rasoirs de sûreté où seule la lame est changée et recyclée par après, ce qui fait zéro déchet plastique.

Et puis, il y a aussi notre mission de sensibilisation à la cause environnementale, à la biodiversité, à la justice sociale pour que les gens se rendent compte de ce qui est en train de se passer, qu’on n’a plus le temps, dans l’espoir d’atteindre une conscience généralisée pour pouvoir passer à l’action. Et ça on le fait au salon avec les clients, mais aussi via les réseaux sociaux et lorsqu’on participe à des événements où l’on est activistes en représentant Casa Mariposa.

Enfin, il y a le végétarisme de l’équipe et des clients car on leur demande d’apporter un lunch végétarien s’ils mangent chez nous lors d’une session longue.

Les tatouages que vous réalisez sont très souvent liés au monde du vivant voire parfois porteurs de messages engagés à sa cause. Était-ce une intention initiale ? Ou est-ce uniquement lié à la demande de votre clientèle ?

C’était l’intention initiale. Depuis la période où j’ai recommencé le dessin, c’était clair. C’est une façon de sensibiliser en portant des messages encrés sur les corps. C’est aussi un moyen de se reconnecter à la nature car on tatoue beaucoup de végétaux. En plus, ça épouse merveilleusement les corps. Symboliquement aussi, ça représente vraiment la reconnexion à la nature et que l’on est interconnecté avec elle et aussi avec tous les êtres vivants. En le proposant, on a de plus en plus de demandes.

Après, il y a trois artistes avec des styles différents ; je suis la seule à travailler en « handpoke » et les autres à la machine. Selon le projet, on recherche le style qui correspond et l’artiste. Ensuite, on voit si c’est faisable. Si c’est en couleurs par contre, on redirige tout simplement vers un autre salon car on a fait ce choix artistique de ne pas tatouer en couleurs.

Motif végétal qui épouse l'épaule d'une femme
Les motifs végétaux, en plus de symboliser la reconnexion à la nature, épousent parfaitement les corps. ©2023 Casa Mariposa

Le salon a été l’un des lauréats de l’appel à projets « OpenSoon 2022 », organisé par Hub Brussels et Bruxelles Economie et Emploi avec le soutien de la Région de Bruxelles-Capitale, qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Ça a été beaucoup de boulot et de stress pendant tout un été (caniculaire en plus !). Sur une cinquantaine de projets, on était 3èmes. On a surtout marqué les esprits en étant pas de l’Horeca. Ça nous a fait plaisir d’être reconnus et ça a aussi été une aide financière non négligeable ; ça a vachement aidé les premiers mois. Et puis, le mot a circulé aussi donc c’était une bonne publicité.

À la Casa Mariposa, vous organisez un vendredi/mois le « Vendredi Altruiste » pour soutenir une association de votre choix (ex. : le 26 mai dernier en reversant 50% des recettes à Natagora tout comme ce 23 juin au profit de Sea Shepherd et le 31 mars dernier en invitant des femmes de la maison d’accueil pour femmes et familles de l’asbl L’Ilot à partager avec vous un petit-déjeuner, un dîner et surtout en leur offrant une session pour un tatouage écoresponsable. Comment l’équipe vit-elle ces journées-là ? Selon toi, l’altruisme peut-il être un moteur de changement sociétal et environnemental ?

Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais il faut bien comprendre ce qu’est l’altruisme. L’altruisme, c’est la 3ème étape après l’empathie et la compassion, qui peuvent être des moteurs mais aussi engendrer de la détresse. L’altruisme, c’est aider les autres en ne s’oubliant pas forcément soi-même et sans la charge émotionnelle mais plutôt une énergie positive, de l’optimisme.

Casa Mariposa se traduit par « Maison Papillon ». C’est donc la métaphore de la transformation de la chenille en papillon. Une transformation qui s’opère chez nous aussi bien à l’extérieur avec le tatouage écoresponsable qu’à l’intérieur notamment avec l’altruisme. Selon moi, plus on va aider les autres plus on va s’aider soi-même. En rendant les gens heureux notamment. Surtout dans notre société qui est assez individualiste ; l’humain est vachement délaissé. Mais en s’entraidant, on se rend compte que tout est connecté. Parce que c’est l’altruisme envers les humains mais aussi envers la forêt par exemple. Il faut exploiter et réexploiter nos qualités de bienveillance et d’altruisme.

Autre motif végétal de tatouage écoresponsable sur le bras d'une femme
La transformation apparaît au grand jour sur la peau mais elle est rayonne aussi intérieurement au travers des valeurs d’altruisme et de bienveillance véhiculées à la Casa Mariposa. ©2023 Casa Mariposa

Casa Mariposa, c’est aussi un salon très féminin. À ce jour, il n’y a que des tatoueuses. Est-ce un choix conscient, un parti pris ? Si oui, pourquoi ?

C’était clair aussi. Le monde du tatouage est un monde encore très masculin. Alors c’est sûrement aussi mon petit côté féministe qui s’exprime mais il y aussi mes expériences passées en salons de tatouage avec des collègues hommes qui n’ont pas été très heureuses car souvent il y avait beaucoup d’égo qui s’en mêlait et l’on ne veut pas de ça.

La clientèle du salon est aussi très féminine. Pour  ma part, je tatoue environ à 90% des femmes. Et je crois qu’en tant que femme, on se sent plus safe avec une tatoueuse, surtout quand le tatouage est dans une zone parfois intime. Il n’y a que Joël comme homme au salon, mais il ne tatoue pas, il gère plutôt le salon.

En suivant ton compte Instagram, je me suis très vite rendu compte que tu partageais beaucoup de contenus de sensibilisation à la cause environnementale à côté du tatouage écoresponsable que ce soit au travers de tes lectures mais aussi ta participation en tant qu’activiste à des actions de désobéissance civile. En quoi est-ce important pour toi de partager aussi ce type de contenus ?

Notre pratique va au-delà du tatouage écoresponsable. C’est important de partager aussi d’autres choses en proposant sans jamais rien imposer.

L’activisme, c’est quelque chose qui booste énormément parce qu’on se sent souvent seul dans ce combat. Ça permet de lutter contre l’éco-anxiété. Ça transforme la peur en moteur pour avancer.

Les lectures, c’est parce que j’ai toujours aimé lire et j’ai toujours beaucoup lu tant des romans que des ouvrages, scientifiques, philosophiques etc. C’est donc aussi une façon d’encourager les gens à lire plus, à être moins sur leur téléphone et à revenir au livre papier. Après, il faut savoir traiter l’information mais c’est important. J’ai beaucoup de retours positifs et d’échanges intéressants là-dessus de la part des personnes qui me suivent.

Qu’est-ce qui t’inspire aujourd’hui ?

Quand je me lève, je m’émerveille tout simplement devant mes plantes. De les voir pousser. Elles ont des noms. Je regarde les nervures en transparence. C’est important de s’émerveiller. Ça donne l’envie de protéger. De manière générale, c’est la nature qui m’inspire. Mais aussi la musique. Quand je dessine le soir, je mets mon casque et je fouille dans les méandres de Spotify.

Jusqu’ici, ma dernière question était systématiquement une citation pour laquelle je demandais à mon interlocuteur/-trice de réagir. Mais j’ai pensé qu’au vu de tes nombreuses lectures et références, tu pourrais toi-même me donner une citation pour clore cet échange. Qu’en dis-tu ?

Il y en a tellement ! J’adore noter des citations dans un carnet et j’en ai déjà cinq remplis. Je les utilise lorsque je fais de la méditation. Il y a celle-ci que j’aime beaucoup. C’est dans le livre Cloud Atlas de David Mitchell :

« Quels que soient vos efforts, ils ne représenteront guère plus qu’une seule goutte de pluie au milieu de l’océan. Mais qu’est-ce qu’un océan sinon une multitude de gouttes de pluie. »

C’est pour ne pas oublier l’effet collectif de chaque geste individuel…

Ressources et liens utiles

Retrouvez ici les ressources qui ont été consultées dans le cadre de la rédaction de cet article ainsi que les liens utiles si vous souhaitez retrouver l’actualité de la Casa Mariposa :